Des jouets pas comme les autres
Cela faisait longtemps que je voulais évoquer ces deux séries du photographe Gabriele Galimberti.
La première s'appelle Ameriguns. La seconde s'appelle Toy Story. Et je crois que les confronter l'une à l'autre en dit beaucoup sur le monde dans lequel on vit. Mais également qu'elle exprime ce qu'il se passe parfois entre l'enfance et l'âge adulte.
Ameriguns
Pour la série Ameriguns, le photographe italien est parti du constat qu'aux États-Unis, le nombre d'armes en circulation est supérieur à celui de la population. Il a donc décidé de parcourir le pays pour rencontrer les Américains qui possèdent plus d'une arme. Devant l'objectif du photographe, les "fiers propriétaires" d'armes à feu - pour reprendre les mots de Gabriele Galimberti - posent avec leur collection. Généralement, les armes de guerre sont légions, et quasiment toutes sont automatiques. Il y a ici peu de place pour les armes de collection historiques. Les personnes photographiées par Gabriele Galimberti considèrent les mousquets ou les pistolets d'ordonnance comme bien accessoires.
Les collections sont vertigineuses. Elles sont agressives. Elles sont inquiétantes. Et elles contrastent parfois avec leur propriétaire. D'autres fois confortent l'image de l'Américain attaché à sa défense et au deuxième amendement.Que ce soit une jeune fille dont personne n'imagine qu'elle possède un arsenal ou que ce soit un cliché de l'Américain moyen tel que l'Europe se le figure, il y a chez toutes ces personnes photographiées une fierté qui s'exprime. Mais il y a surtout la démesure, cet adjectif qui colle si bien aux États-Unis.
Toutes les personnes photographiées possèdent plus d'une arme. Parfois, elles se comptent par dizaines, quand cela n'atteint pas la centaine.
Ici, Danyela D'Angelo, l'une des rares qui collectionne aussi quelques vieilles armes. Danyela raconte à Gabriele avoir été éduquée à leur contact. Elle a patiemment attendu son douzième anniversaire pour pouvoir y toucher sous l'œil bienveillant de son père. Depuis, elle participe à des compétitions de tir et s'entraîne trois fois par semaine. Des sponsors la courtisent et les fabricants d'armes lui offrent des exemplaires de leur production. C'est aussi comme cela qu'elle agrandit sa collection.
Les propriétaires de ces armes à feu remplissent parfois des espaces gigantesques avec leur panoplie. Certains expriment clairement une jubilation qui fait plus qu'interroger et inquiéter.
Nombreux sont également ceux qui posent avec leurs enfants. En ressort ce questionnement sur la spirale des armes aux USA, la transmission de ce droit à porter une arme (ici, il faut plutôt dire "des armes").
J'ai un jour entendu à la radio un spécialiste de l'histoire des USA expliquer que lors de l'écriture de la constitution de l'État Fédéral, la détention et le port d'armes étaient une garantie apportée aux États qui se fédéraient, méfiants de la puissance de l'État central. Le second amendement de la constitution américaine fait d'ailleurs mention "d'une milice bien organisée (étant) nécessaire à la sécurité d'un État libre" pour justifier que "le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé." Cette idée reste ancrée dans certains inconscients aux États-Unis, mais la réalité aujourd'hui est plus un droit à l'auto-défense qu'une visée d'armement politique.
Il est intéressant de noter que l'idée d'Ameriguns est née de cette photo. Gabriele Galimberti la commente ainsi : "C'était la première fois que je photographiais une famille avec ses armes. Les trois enfants de James sont âgés de 8 à 15 ans. J'explorais à ce moment-là les relations entre un père et ses enfants."
Toy Story
À la même période, Gabriele Galimberti se tourne vers les enfants. Alors qu'il demande aux adultes américains d'exhiber leurs armes, comme en écho, il demande aux enfants du monde entier d'exhiber leurs jouets.
À l'instar d'Elene qui vit en Géorgie, les enfants posent quasi tous avec un sourire. "Que les enfants possèdent une véritable flotte de voitures miniatures ou un seul singe en peluche, la fierté qu'ils éprouvent est émouvante, drôle et donne à réfléchir" dit Gabriele Galimberti.
Le photographe va à la rencontre de toutes les origines sociales et géographiques. Il photographie aussi bien Rivaldo, jeune enfant de Port-au-Prince, Ayotomiwa de Lagos ou Elias qui vit en Suisse.
Au-delà de leur côté touchant et profondément humain, ces images portent la signature du photographe dans la façon dont elles sont mises en scène et les enfants amenés à poser. L'écho avec les multi-possesseurs d'armes est indéniable, tant la composition est proche. Les faciès se retrouvent face à face, et finalement, toutes ces armes, aussi inquiétantes soient-elles, semblent bien vaines et stupides devant la joie et la fierté de ces enfants. Le futur est conditionné par les adultes, mais il trouve la lumière dans ceux qui aujourd'hui sont les plus petits.
Confronter ces deux approches photographiques de Gabriele Galimberti est réellement saisissant, tant l'esthétique est similaire pour un résultat diamétralement opposé selon quelle série le spectateur regarde. Quand Ameriguns démontre toute la démesure à laquelle amène la peur de l'autre, la politique et le sentiment de toute-puissance, Toy Story consacre la réalité de l'imaginaire, le pouvoir de l'innocence et du jeu. Deux angles différents pour deux façons de shooter similaires et qui proposent deux facettes du monde autant que de l'Humain. Une fois mises face à face, elles bousculent, tout en constatant que la présence de ces enfants avec leurs jouets entretient l'espoir.
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